

MOT(IF), UNE EXPOSITION PAR ALIA ALI
29 janvier 2022
Du 1er septembre au 24 octobre 2021, les œuvres d’art contemporaines d’Alia Ali ont été exposées à la « 193 Gallery ». Marquée par la guerre, la migration, et par le multiculturalisme, l’artiste yéménite a dédié ses œuvres aux migrants.
A l’extérieur de la galerie, le jeu des couleurs pop vient contraster avec la rue aux murs grisâtres. Alia Ali expose des installations « multimédias », il y a une certaine diversité de supports : on peut retrouver des photographies, des tissus, de l’aluminium pour les rebords des œuvres, du bois pour les cadres, de la peinture etc.
A peine avons-nous le temps de franchir la porte d'entrée que le spectateur se retrouve immergé dans l’univers de l’artiste: du wax (textile en coton) orne les murs, l’escalier (qui mène à l’étage vers une autre exposition), les canapés, les oreillers, les cadrans des portes et même les interrupteurs.
Les deux tiers de l’exposition mettent en scène des migrants entièrement voilés par des tissus wax. Issue elle-même de la migration, l’artiste interroge ici le spectateur. Lorsque l’on pense aux migrants on s’imagine des personnes victimes de la guerre qui sont en situation de grande souffrance. D’après un livret présent lors de cette exposition, on apprend que cette image est celle que nos médias nous renvoient mais qu’il n’y a pas uniquement cette vision. Ainsi, le recouvrement intégral de tissus signifie que l’on a une certaine image des migrants mais les teintes colorées des tissus wax (réalisés par la mère de l’artiste) montrent aussi la richesse de la culture de ces individus.
Dans les œuvres de l’artiste, le fond derrière l’individu photographié et le cadre du cliché sont séparés: la photo est surélevée par de l’aluminium et elle vient comme s’imbriquer dans le cadre tout en restant à distance de celui-ci. C’est sûrement cette distance, ou cet écart, qu’Alia Ali a désiré représenter pour mettre en avant ce que diffusent les médias et l’expérience subjective des personnes réfugiées.
Selon elle, il faut se renseigner certes grâce aux médias, mais aussi apprendre le vécu des personnes, leurs vies, leurs genres, etc. Ce ne sont pas qu’une masse, mais des individus à part entière. Alia Ali explique qu’elle a voulu représenter des migrants de différentes couleurs de peau, de différentes religions, des femmes, des hommes, des personnes non-binaires, des personnes de différents pays, etc : on peut supposer qu’ils ont tous leur histoire mais ils ont été rendus invisibles (d’où la métaphore du tissu qui les cache).
Mis à part le côté coloré de l’exposition, celle-ci a tout de même un fond sombre même s’il n’est pas directement montré: la guerre. Devant quitter leur pays d’origine, les migrants ont dû s'adapter à une nouvelle culture et laisser la leur derrière eux. C’est sûrement pour cette raison que les individus photographiés semblent étouffer sous leurs tissus.
Si les tissus sont synonymes de richesse culturelle, ils sont aussi sûrement synonymes de colonialisme et d’appropriation culturelle. En effet, avec le liseré, c’est comme si la culture se répandait au-delà du cadre, elle n’avait pas de frontière, mais elle semble être arrachée de la photo et diffusée dans le reste du monde contre son gré.
De plus, sur d’autres tissus, il est inscrit « حب » ce qui signifie « amour » en arabe. L'omniprésence de ce mot représente en réalité le fait que l’amour se diffuse, il n’a pas de barrière.
La dernière pièce est séparée en deux: une partie aux murs blanc est éclairée et la deuxième aux murs foncés est plongée dans la pénombre. Dans la première, des visages sont enroulés par des fils qui cisaillent la peau et qui couvrent la bouche et les yeux. Cette série de photos « under thread » (signifiant « sous le fil ») est la représentation des dégâts de la guerre. L’autre partie de cette pièce aux murs bleus foncés n’est pas éclairée, mais, des inscriptions et des dessins réalisés à la peinture rose participent à sublimer cet endroit. L’inscription « المهجر » (al-mahjar) est inscrite à certains endroits du mur en arabe mais aussi en hébreu : il s’agit d’un terme désignant la diaspora arabe où la population a été exclue de son pays. Cette partie de la salle représente l’espoir des populations qui tentent de renaître après la guerre.
Margot Bonnéry
Alia Ali, 193 Gallery: https://www.193gallery.com/artistes-3/alia-ali-
