

LE PLI DU VENTRE COSMIQUE, UNE EXPOSITION COLLECTIVE AUX THÉMATIQUES COMMUNES
27 janvier 2022
Du 11 juin au 28 novembre 2021, la galerie « Bétonsalon », située au sein de l’Université Paris Diderot dans le treizième arrondissement, a accueilli l’artiste contemporaine Jagna Ciuchta. Cette dernière a réalisé une exposition intitulée Le pli du ventre cosmique.
Depuis 2010, l’artiste Jagna Ciuchta s’entoure de divers artistes dans son travail notamment lors des résidences qu’elle a pu réaliser, ce qui engendre des expositions aux esthétiques variées. Pour elle, l’invitation à d’autres individus à monter des expositions collectives est plus que primordial, comme s’il s’agissait de sa marque de fabrique: artistes, artisans, amateurs, étudiants, etc.
Jagna Ciuchta se considère comme une artiste « curative naïve » : en étant à la fois artiste et commissaire d’exposition, elle rassemble divers artistes pour offrir une nouvelle perception de l’exposition aux spectateurs, aux autres artistes participant au projet et à elle-même.
Cette idée de rassemblement a en partie donné lieu au titre de l’exposition Le pli du ventre cosmique: c’est un ventre. Un ventre qui met en avant ces relations entre artistes, un ventre qui fait émerger des œuvres aussi diverses soient-elles. Jagna Ciuchta ne réfléchit donc pas au préalable uniquement sur ses propres œuvres mais aussi sur celles de ses vingt collègues.
Cette exposition amène à s’interroger sur l’idée de partage et de juxtaposition des oeuvres au sein d’une exposition commune en traitant de la notion de corps, de mouvance, “d’espace palpable” où l’individu semble chercher sa place, de terre où s’ancrent ces corps, etc.
Il est intéressant de constater que cette exposition est entourée par des blocs de béton, puisque cette galerie était autrefois une halle aux farines, ce qui semble produire un effet de bulle laissant circuler en son ventre diverses énergies. Ainsi, Jagna Ciuchta amène le spectateur à flotter dans l’exposition et à l’arpenter sans qu’il y ait de sens précis de visite, le corps a une certaine importance pour cette artiste.
Au début du parcours, on découvre l’artiste Alina Szapocznikow qui a travaillé avec des chewing-gums mâchés et entortillés qu’elle a ensuite photographiés et nommés Photoscumptures. Ciuchta qualifie cette œuvre comme « l’un des centres mouvants de l’exposition ». Dans cette continuité de rapport au corps, les chewing-gums ont certes été travaillés par la bouche de l’artiste, mais ils semblent s'horizontaliser comme un corps qui désire s'ancrer dans la terre. On peut ici faire l’hypothèse d’une allusion aux dieux fleuves présents dans les œuvres de la mythologie gréco-romaine. Ces dieux sont une incarnation des rivières, ce sont des divinités subalternes qui ne peuvent pas accéder à l’Olympe. Comme ils n’ont pas accès au très haut, ils s’enracinent dans le sol, ils se minéralisent. Les chewing-gums des photographies sont comme les dieux fleuves présents dans Le jugement de Pâris par Raimondi: ils sont tournés vers eux-mêmes, désarticulés, ils descendent vers le minéral (Alina Szapocznikow met souvent en scène un bloc de béton) comme pour refuser toute forme de verticalité.
Cette idée de retour à la terre, peut nous faire penser aux plexiglass noirs et aux miroirs mouvants mis en place par Jagna Ciuchta et par l’artiste Janka Patocka dans la suite de l’exposition. En effet, c’est dans ces reflets que nous pouvons voir une allusion au mythe de Narcisse dans Les métamorphoses d’Ovide puisqu’il finit par se noyer (retour au sol) puisqu’il s’est perdu dans son propre reflet. C’est ce qu’on appelle l’abgrund (idée théorisée par Pierre Schneider), il s’agit de l'abîme, c’est un fond sans fond, un fond mouvant dans lequel les individus plongent leurs regards vers ce fond sans fond qui remonte. Que ce soit Narcisse ou bien le spectateur face aux grandes planches de plexiglass noires et aux miroirs mouvants, le regard semble s’y ancrer et nous pouvons supposer que les deux artistes désirent signifier qu’à force de se contempler on peut finir par se perdre soi-même.
Ensuite, l’exposition amène à s'interroger sur la juxtaposition des images et des dispositifs entre eux. Cet entrechoquement se fait voir en partie au sein même du dispositif conçu par Jagna Ciuchta pour accueillir l'œuvre de Nan Goldin intitulée All by Myself. Dans la pénombre, un diaporama projeté dans le ventre d’une cahute fait défiler un florilège de photographies. Ces dernières semblent s’entrechoquer entre-elles mais aussi vis-à-vis de la musique en fond sonore: nous avons des images représentant l’amitié, le sexe, l’amour, des moments seuls, etc qui vienennent s’opposer en quelque sorte à la musique All by myself par Eartha Kitt.
Tous les autres artistes avec lesquels Jagna Ciuchta s’est entouré semblent avoir un lien qui les unie avec son travail et sa manière de voir le monde ainsi que les individus. Au fond, Jagna Ciuchta est une artiste qui parvient avec justesse à transmettre ses idées au sein d’un groupe tout en laissant libre créations aux artistes qui l'accompagnent.
Margot Bonnéry
Le pli du ventre cosmique par Jagna Ciuchta, centre d'art et de recherche Béton salon: https://www.image-imatge.org/expositions/le-pli-du-vente-cosmique
